— T’es complètement inconscient, Adam !
Kael raffermit sa prise.
Ses doigts lui brûlaient.
Suspendu dans le vide, Adam se contenta d’un sourire crispé.
— Ce n’est pas ma faute si ce sol était un foutu piège.
Les muscles tendus, Adam s’accrochait comme il pouvait.
Sous eux, à environ quatre mètres,
des pieux acérés luisaient sous la lumière vacillante des torches accrochées aux parois.
Leurs pointes métalliques, froides et immobiles,
étaient disposées en cercle,
comme une gueule ouverte prête à engloutir toute forme de vie.
Autour des pieux, la roche était marquée de sillons et de traces,
des signes évidents que le piège avait été activé plusieurs fois.
À certains endroits,
le sol semblait encore frémir sous la pression de leur chute,
comme si l’air lui-même retenait son souffle,
attendant qu’ils fassent une erreur.
Au-dessus, cinq à six mètres plus haut,
la plateforme d’où ils venaient de chuter.
Aucune issue.
Kael serra les dents.
Ses bras tremblaient sous le poids d’Adam.
— Tu devrais au moins me remercier…
dit Kael, essayant de masquer son anxiété.
— Je croyais que t’aimais jouer les héros ?
rétorqua Adam.
Un rictus.
Une tentative d’humour.
Mais la sueur coulant sur son front trahissait son inconfort.
Kael ne répondit pas.
Il tenta d’ancrer ses pieds contre la roche glissante.
Rien.
Juste le vide.
Il balaya la caverne du regard.
Pas de prise.
Pas d’échappatoire immédiate.
Kael resta concentré,
cherchant désespérément un appui.
Puis, dans un mouvement maladroit,
ses pieds glissèrent sur la roche humide.
Il sentit son corps basculer,
et en un instant, l'équilibre se perdit.
Le cœur de Kael se serra
en voyant Adam qui, dans un sursaut, tenta de se rattraper.
Mais trop tard.
Un cri étranglé s’échappa de la gorge d’Adam
tandis qu’il chutait légèrement,
ses doigts lâchant la paroi.
Kael, dans un réflexe désespéré,
s’agrippa à la roche pour ne pas céder lui aussi.
La douleur perça les paumes de Kael.
Mais il résista,
bloqué dans ce vide cruel.
Puis, la prise de Kael vacilla.
Dans un ultime effort,
Adam s’agrippa à la seule chose qu’il pouvait atteindre :
la jambe de Kael.
Ses doigts glissèrent sur la peau
avant de s’enfoncer dans les vêtements du jeune homme,
lui arrachant un cri de douleur.
Adam n’avait plus que l’épais tissu de son pantalon pour se maintenir,
suspendu à lui avec une force désespérée.
Leurs regards se croisèrent.
Kael, pris de panique,
ressentit l’urgence de la situation.
Il se redressa,
tirant de toutes ses forces,
le cœur battant à tout rompre.
— Accroche-toi, Adam !
haleta-t-il.
— Bouge pas trop.
Sa voix, plus grave, plus sérieuse.
— Si on chute, c’est fini.
Adam hocha la tête, légèrement.
Le silence pesait lourd,
empli de tension.
Seuls leurs souffles haletants résonnaient,
échos désespérés de l’effort.
Et le crissement incessant de la pierre sous leurs doigts crispés,
qui semblait se ficher dans leur peau,
mordant à chaque mouvement.
Kael ferma les yeux un instant.
Les dents serrées.
Son corps tendu comme un fil de fer.
Chaque respiration était un supplice.
Chaque mouvement, une torture.
Puis la douleur le frappa de plein fouet.
D'abord les paumes.
Puis les doigts.
La roche, tranchante comme un couteau,
lui déchiquetait la peau.
Il sentit ses ongles se briser contre la paroi,
ses doigts se déchirer peu à peu
sous le poids de son propre corps suspendu dans le vide.
Une goutte de sang s’échappa de sa paume.
Puis une autre.
Encore une autre.
Elles s’écrasaient contre la roche,
créant de petites taches rouges.
Le sang ruisselait lentement le long de ses bras,
trempant peu à peu sa tunique déchirée,
gouttant, goutte après goutte,
sur le visage d’Adam.
L’humidité du sang, à la fois froide et chaude,
se mêlait à la sueur qui perlait sur la peau de Kael.
Son corps lui hurlait de lâcher prise.
Mais il tenait.
Il tenait bon.
Une douleur insupportable l’envahit.
Un éclat de roche s’enfonça profondément sous son doigt,
la chair se déchirant lentement dans un cri silencieux.
Ses muscles se contractèrent,
ses doigts déjà meurtris semblant prêts à se rompre.
Mais il tenait encore.
Le sang gouttait maintenant en larges filets le long de ses bras,
tachant ses vêtements,
la roche,
et Adam.
Chaque goutte, une promesse silencieuse :
il n’abandonnerait pas.
Pas maintenant.
Pas après tout ce qu’il avait enduré.
— Bordel… Kael, tu saignes !
s’exclama Adam, les yeux écarquillés.
Les mots d’Adam parvinrent à peine à Kael,
noyés dans l’océan de douleur.
Il sentit sa prise faiblir,
mais il refusa de laisser la terreur l'envahir.
Le vide le menaçait de toute part.
Mais il se concentra sur la seule chose qu'il pouvait encore contrôler :
la prise de ses doigts meurtris.
Chaque goutte de sang qui s’échappait de lui
était une brûlure sur sa peau.
Mais il serra les dents.
Resserrant sa prise.
Les veines de ses mains pulsaient,
prêtes à éclater sous la pression.
Le sang, chaud et salé,
coulait le long de ses bras.
À chaque geste,
il laissait une trace brûlante.
Douloureuse.
Presque vivante.
Son regard restait fixé sur le vide sous ses pieds.
Il n’osait pas imaginer la chute.
Kael savait qu’il ne tiendrait pas éternellement.
Mais il tenait toujours.
Il refusait de tomber.
Refusait de lâcher.
L’idée même d’imaginer sa sœur laissée seule à elle-même
devint son seul soutien.
Cette pensée :
son ancre.
La douleur était inimaginable.
Mais en comparaison…
sa sœur était sa seule réalité.
Une sensation étrange pulsa alors dans son crâne.
Une douleur sourde,
comme une onde résonnant à travers la caverne.
Ses yeux picotèrent.
Une chaleur inhabituelle monta en lui.
La sensation et le rythme semblaient presque synchronisés,
comme si quelque chose se produisait à cet instant précis.
Puis, une réalisation le frappa.
Les pics de douleur dans sa tête.
La chaleur.
Les gouttes de sang tombant au sol…
Tout semblait parfaitement synchronisé.
Et soudain —
malgré l’obscurité presque totale —
quelque chose émergea.
Pas avec ses yeux.
Avec… autre chose.
Il avait l’impression de voir,
à chaque goutte de son sang tombant sur la roche,
une onde se projeter en cercle.
Comme un sonar.
Se répandant à 360° autour de lui.
Kael, complètement perdu,
ne comprenait pas ce qui se passait.
La combinaison de la douleur physique,
de la pression dans sa tête,
de l’inquiétude pour Adam,
de l'angoisse pour sa sœur,
et de ce phénomène étrange avec son sang…
… le rendait totalement confus.
Il était pris dans un tourbillon de sensations contradictoires.
Ses sens,
et son esprit,
se battaient pour se fixer sur une seule réalité.
Quand soudain —
quelque chose bougea dans son champ de vision.
Une ombre ?
Une forme ?
Il ne savait plus.
Mais il sut que s’il ne réagissait pas maintenant…
il ne s’en sortirait pas.