Chapitre 26 — La Flamme Écarlate
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La cour impériale, encore bruissante des récents bouleversements — la disparition du frère de l'empereur Xù Liyan (chapitre 19), que tous croient encore son frère alors qu'il est en vérité son fils — se figea.
Peu de personnes connaissaient cette vérité. Seuls l'empereur, Meilin (la mère de Xù Liyan), et quelques rares figures comme Xuèhuā, l'espionne chargée de surveiller Liyan en secret depuis dix ans (chapitre 22), en savaient quelque chose.
À cela s'ajoutait l'emprisonnement de Xū Fang (chapitre 23).
Puis vint un silence. Un silence où même les éventails s'arrêtèrent, et où les plumes cessèrent de glisser sur les papiers de soie.
C'était un silence qui ne naît pas de l'absence de bruit, mais du poids d'une présence.
Car ce matin-là, Mei-Ling, la seconde épouse de l'Empereur, fit son entrée au palais central.
Pas une arrivée.
Une ascension.
Elle ne marchait pas : elle marchait comme une déesse.
Elle ne saluait pas : elle imposait.
Elle n'était pas attendue. Elle n'avait pas été annoncée.
Et pourtant, lorsqu'elle franchit les portes du Pavillon des Étoiles, on sut immédiatement qu'elle ne repartirait pas.
Derrière elle marchait une silhouette discrète, presque invisible : Shuyin, sa servante fidèle. Ombre muette, regard de lynx. Elle ne parlait jamais, mais voyait tout.
Les plus anciens dignitaires du palais la connaissaient. Ils l'appelaient "la Silencieuse aux cent poisons".
Mais personne ne l'avait jamais vue tuer. Ce qui, justement, la rendait plus inquiétante encore.
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Dans les couloirs parfumés, les murmures allèrent plus vite que les pas :
— C'est elle ?
— La Flamme Écarlate ?
— Elle est bien plus jeune que ce que l'on disait…
— Ou bien c'est son feu qui efface le temps…
Certains courtisans, par habitude ou arrogance, la comparèrent aussitôt à Xīyue, la favorite impériale, surnommée la Renarde pour son esprit acéré et ses jeux d'influence.
Mais cette fois, le duel n'était pas de mots ni de sourires.
La Flamme ne joue pas. Elle consume.
Et ce qu'elle brûle… ne repousse jamais.
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L'Empereur, assis sur son trône, penché sur des rapports apportés par Zi Chang, releva la tête.
Et ce simple geste changea l'atmosphère de la pièce.
Il la vit.
Et le monde sembla, pour un instant, cesser de tourner.
Comme si son regard avait reconnu une pièce manquante. Non pas oubliée. Mais longtemps refusée.
Mei-Ling s'inclina.
Un salut parfait. Ni trop bas, ni trop court.
Une révérence qui ne demandait rien… et qui prit tout.
Les doigts de l'Empereur cessèrent de bouger.
Son regard, d'ordinaire glacé, se réchauffa d'une nuance subtile.
Les ministres, témoins malgré eux, comprirent : le feu venait de trouver son combustible.
Et ce feu n'aurait besoin d'aucun bois.
Juste d'un regard. D'une présence. D'un nom.
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Non loin, Xīyue observait, aux côtés de Jinlian.
Raide. Fière. Belle — comme toujours.
Mais intérieurement, elle pensait à Ken :
Ça fait un mois qu'il est en prison…, pensait-elle en serrant les dents. J'espère qu'il va bien…
Puis elle se rappela ce que sa mère, Liánhua, et Jinlian lui avaient dit :
Il sera exécuté (chapitre 21).
Alors, Xīyue se dit :
Oublie-le. Il est déjà mort.
Mais cette pensée ne dura qu'une seconde.
Juste une seconde.
Mei-Ling était venue pour prendre l'empereur devant Xīyue.
Mais ce que Mei-Ling ne savait pas… c'est que Xīyue ne pensait plus à l'Empereur.
Elle était venue pour changer les règles.
Elle n'était pas une pièce sur l'échiquier impérial.
Elle était la nouvelle règle du jeu.
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Shuyin, quant à elle, scrutait la pièce.
Elle nota chaque respiration, chaque froncement de sourcil, chaque œil qui se détourna trop tard.
Puis elle regarda Jinlian, la fameuse génie de la médecine, presque l'égale de Yuèyao, la génie du poison.
Elle me regarde comme si elle se croit supérieure…, pensa Shuyin en serrant le bras.
Puis elle observa deux autres femmes :
— Meilin, l'ex-épouse de l'empereur, dont le regard semblait vide.
— Et plus loin, Liánhua, mère de Xīyue, et épouse du Premier Ministre Zi Chang.
Quand Shuyin croisa le regard figé de Liánhua, elle inclina très légèrement la tête.
Un geste presque invisible.
Presque.
Et pourtant suffisant.
Liánhua baissa les yeux, imperceptiblement.
Pas par peur.
Mais comme on reconnaît une ennemie.
Une ennemie de sa fille Xīyue.
Ou plutôt… de son pion.
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Les rumeurs se tissaient plus vite que le vent :
— Sa venue coïncide trop parfaitement avec la chute des disciples de Liyan, et du nouveau génie de la médecine, Xū Fang (chapitre 23).
— Et la disparition de Liyan et Yuèyao (chapitre 19)…
— Elle est la seule à ne pas être inquiète. Elle doit savoir quelque chose.
Certains murmuraient qu'elle avait été rappelée par l'Empereur lui-même.
D'autres, qu'elle avait agi sans permission — et que c'était là, justement, son audace la plus redoutable.
Mais une poignée — les plus intelligents — analysaient en silence.
Xīyue s'en fichait.
Elle ne pensait qu'à Ken.
Et même si elle voulait l'oublier pour ne pas souffrir… elle n'y arrivait pas.
Jinlian analysait tout en silence.
Elle pensa : Ça va devenir intéressant… hhhh.
Meilin, intérieurement :
Qu'est-ce que l'empereur prépare ? Pour notre fils Liyan… il est trop calme.
Est-ce qu'il sait où il se trouve ?
Liánhua, quant à elle :
Cette femme est dangereuse. Pour la position de Xīyue.
Ou plutôt… pour ma stratégie.
Je dois utiliser ma belle-fille Jinlian pour me débarrasser des autres femmes, sans que l'Empereur le remarque.
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L'Empereur, après un échange de mots qu'aucun conseiller n'entendit, lui offrit un sourire.
Un vrai.
Un rare.
Puis, d'un geste lent, presque théâtral, il lui tendit la main pour l'inviter à le suivre dans ses appartements privés.
Et Mei-Ling le suivit. Sans se retourner.
Sans un regard pour Xīyue.
Sans un mot pour Shuyin.
Sans un doute.
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La cour resta là.
Muette.
Figée.
Xīyue, debout mais seule, sentit battre dans sa poitrine une chose nouvelle.
Pas de la jalousie.
Elle sentait qu'elle ne pouvait plus oublier Ken, même si elle voulait l'oublier pour ne pas souffrir.
Elle savait : il est déjà mort… ou bien elle est en train de perdre le seul homme qu'elle ait jamais aimé.
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Fin du Chapitre 26